Comprendre l’égalisation sur une table de mixage

L’égalisation, ou EQ dans le jargon technique, se cache sur toutes les tranches d’une table de mixage, qu’elle soit analogique ou numérique. Mais derrière ces boutons marqués “Low”, “Mid”, “High” ou baptisés avec des fréquences précises se joue l’essentiel : l’art d’adapter chaque source sonore à l’acoustique de la salle, aux autres instruments et à la réalité du public présent. L’EQ n’a rien d’anecdotique en concert. Sans elle, impossible d’offrir une expérience claire, puissante et agréable aux spectateurs.

Il s’agit de corriger, d’embellir, parfois de rattraper, pour que chaque voix, chaque instrument trouve sa juste place dans le mix général. Selon une étude publiée par Shure, plus de 87% des ingénieurs du son live estiment que l’égalisation joue un rôle majeur sur la qualité perçue d’un concert, devant même le choix du micro ou du système de diffusion (Shure).

Pourquoi égaliser ? Les enjeux principaux lors d’un live

Lorsqu’on mixe sur scène, le contexte est radicalement différent d’une production en studio. Voici les défis spécifiques que l’EQ permet de relever :

  • Adapter le son à l’acoustique de la salle : chaque salle (de la cave voûtée au stade ouvert) colore le son différemment, amplifie ou atténue certaines fréquences à cause de ses dimensions, ses matériaux, sa réverbération naturelle. Une égalisation ciblée permet de compenser ces défauts.
  • Dégager chaque instrument dans le mix. Quand la basse écrase la voix ou que la guitare et le clavier se marchent sur les mêmes fréquences, l’EQ est le seul outil pour leur redonner de la place et éviter la “bouillie sonore”.
  • Lutter contre les larsens (feedbacks). Certaines fréquences sont propices aux retours indésirables, en particulier sur les voix et les instruments amplifiés. L’égaliseur est le remède efficace pour éliminer les pics dangereux sans tout couper.
  • Offrir de la clarté au public. Dans un live, entre les bruits de fond, la foule, et l’imprévu, il faut garantir que chaque nuance traverse la salle jusqu’aux derniers rangs.

Zoom sur les types d’égalisation utilisés en live

Selon le matériel, l’ingénieur du son dispose de plusieurs types d’EQs :

  • Égaliseur graphique : chaque fader contrôle précisément une bande de fréquences fixe (31 bandes est un standard pro), idéal pour le traitement global (sound system, retours).
  • Égaliseur paramétrique : permet de cibler une fréquence, d’ajuster son “Q” (sa largeur), et son gain. Parfait pour travailler de façon chirurgicale sur une tranche spécifique (voix, caisse claire, basse, etc.).
  • EQ semi-paramétrique : certains mixers offrent ce compromis sur les tranches, avec 2 ou 3 bandes que l’on peut déplacer sur un spectre.

Sur une console comme la Yamaha QL5, chaque tranche offre 4 bandes paramétriques, un luxe comparé aux anciennes consoles analogiques qui se limitent parfois à 3 bandes fixes.

Comment agit l’EQ sur la matière sonore ?

L’égalisation fait partie des outils de correction spectrale. Chaque instrument occupe une “zone” fréquentielle prédominante :

Instrument/Source Fréquences importantes Problèmes typiques
Voix 100 Hz – 12 kHz Bourdonnement, sybillance, manque de clarté
Basse 40 Hz – 400 Hz Bouffissure, masquage des graves
Guitare 80 Hz – 6 kHz Médiums encombrés, aigus criards
Batterie (caisse claire) 150 Hz – 7 kHz Médiums sourds ou métalliques

Appliquer un high-pass filter sur toutes les sources qui n’ont pas besoin de graves (voix, guitare, overheads de batterie) évite l’accumulation d’infrabasses inutiles. D’après Sound on Sound, cela clarifie instantanément le mix en live (Sound on Sound).

Exemples concrets d’égalisation en live

Les égalisations ne se ressemblent jamais d’un concert à l’autre, car chaque situation est unique. Cependant, certaines pratiques sont devenues des standards chez les professionnels.

  • Sur la voix principale : suppression légère autour de 200 à 300 Hz pour atténuer la “boue”, accentuation vers 3 kHz pour faire ressortir la diction, coupe gentille des aigus au-delà de 10 kHz pour “dégraisser” les sifflantes.
  • Sur la basse électrique : léger boost vers 80-100 Hz, atténuation dans les bas médiums bourbeux (200-300 Hz), mise en avant autour de 1 kHz si la grosse caisse manque de punch.
  • Batterie : sur la grosse caisse, un creux autour de 400 Hz pour enlever la “carton” et un boost vers 4 kHz pour l’attaque. Sur les overheads, coupe sous 100 Hz pour éviter les “retours de scène” indésirables.
  • Guitare électrique : souvent, coupe sous 80 Hz, réduction autour de 3-5 kHz pour éviter les “harsher” (sons aigus désagréables) et mise en avant subtile des “mids” (autour de 1,5 kHz).

L’EQ : une arme anti-larsen indispensable

Les retours (monitors) sur scène sont souvent la plaie des ingénieurs de concert. La raison ? Quand un micro “reprend” le son d’un haut-parleur, il peut créer un sifflement strident : le larsen. L’EQ graphique (souvent sur les circuits de retours) permet de couper précisément la ou les fréquences problématiques. Par exemple, sur un retour trop proche d’un micro chant, on repère la bande responsable (fréquemment autour de 4-8 kHz, mais ça varie selon la salle) et on l’atténue, sans compromettre le reste de la restitution.

Les égaliseurs numériques récents offrent la mémorisation de “presets anti-larsen” : un vrai atout, surtout dans les concerts où plusieurs groupes défilent, comme les festivals. D’après FOH Magazine (Front of House), la gestion des larsens via EQ graphique permet de réduire d’au moins 60% les incidents de feedback sur scène (FOH Magazine).

Personnaliser le mix pour chaque artiste : l’EQ au service du style

L’égalisation n’est pas qu’un outil de correction, c’est aussi un outil créatif. Le mixeur peut “colorer” une voix ou un instrument selon le style :

  • Pour un concert rock, booster les bas-médiums donne plus de chaleur ; pour de la pop électro, on privilégiera des aigus plus précis et des graves secs et punchy.
  • Le jazz exige une grande transparence et un respect fidèle du timbre naturel : l’EQ doit alors rester très doux, souvent correctif à minima, par touches subtiles.
  • Sur les musiques urbaines, une forte mise en avant du grave (sans sombrer dans la saturation) participe à l’énergie ressentie par le public.

D’une tournée à l’autre, certaines reprises d’un même artiste peuvent ainsi sonner radicalement différemment, tout juste par l’ajustement de quelques bandes d’EQ…

Les erreurs courantes à éviter

Même si l’EQ est puissant, il demande doigté et expérience. Quelques pièges fréquents :

  • En faire trop : chaque coupe ou boost doit être motivé. Trop d’EQ, et le son devient “plastique” ou agressif.
  • Utiliser l’EQ pour compenser de mauvaises sources : pas de réglage miracle si le micro est mal placé ou l’instrument mal amplifié.
  • Travailler à volume trop faible : on règle toujours à niveau réel de concert pour entendre l’interaction avec la salle.
  • Négliger l’effet du public : une salle remplie absorbe certaines fréquences (principalement les aigus). Il faut re-vérifier l’EQ après les balances, en conditions réelles.

Vers des outils toujours plus sophistiqués

À l’heure du numérique, l’égalisation bénéficie d’outils avancés : analyseurs de spectre en temps réel, presets automatisés, mémorisation de scènes, contrôle à distance via tablette… En festival, on voit de plus en plus de consoles capables de “snapshotter” (sauvegarder) une EQ pour chaque groupe, puis de rappeler le réglage en une seconde. Mais l’intuition de l’ingénieur garde le dernier mot, car chaque concert est unique.

L’égalisation : clé de voûte d’un mix live réussi

En concert, l’égalisation n’est pas accessoire : elle fait la différence entre un show brouillon et une prestation cohérente, engageante et vivante. Dompter l’acoustique, anticiper les pièges de la salle, réagir aux caprices des instruments et des artistes… Le tout, souvent sous la pression du direct. À la clé, des artistes mis en valeur, un public conquis, et des souvenirs sonores à la hauteur de l’émotion de la scène.

Pour aller plus loin, il existe des ouvrages et des tutoriels – citons “The Mixing Engineer’s Handbook” (Bobby Owsinski), ou les articles de Sound On Sound et ProSoundWeb. Mais rien ne remplace l’écoute attentive, la pratique, et une réelle curiosité de chaque nouveau défi acoustique. L’EQ, c’est la palette du peintre : un geste, une nuance, et tout le tableau s’en trouve transformé.

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